•  

    -Je te vois Emy, toi, et ta souffrance, et ta solitude. Mais tu n'es plus seule, plus jamais. Je te vois.

     Et ses yeux se fermèrent. Les secondes passèrent. Peut-être même des minutes, peut-être même des heures. Emy laissa son ami dans le sommeil paisible qu’il semblait avoir retrouvé, après s’être assurée qu’il dormait simplement. Ses yeux étaient trempés de larmes, ses vêtements tachés de sang, et son âme mourrait. Elle s’était juré de ne plus jamais être égoïste. Il était donc temps d’agir. Malgré tout ce que ça lui coûtait. Elle s’éloigna. Son sac à dos, une feuille, un stylo, elle écrivit quelques mots. Des flashs illuminèrent son esprit. La mort de sa mère, le sourire d’Anthony, la mort de son père, un chocolat chaud, une valse, l’odeur de la mort et le linceul, une pizza, l’étoile du berger, le regard du médecin, sa tante, une odeur de liberté, le regard du médecin, le manque des ses parents, le regard du médecin, Anthony, l’Etoile du Berger. Le regard du médecin.

    Emy s’effondra. Elle plia la feuille sans prendre le temps de se relire. Elle sortit la seule chose qu’elle eût jamais volé, et espéra qu’on lui pardonnerai. Une bouteille d’eau, et elle compta jusqu’à vingt cinq. Elle ne pensait pas, en était incapable. Vingt cinq gorgée d’eau, et à chaque fois, un cachet d’aspirine. Elle savait qu’Anthony retrouverait son corps. C’est pour cela qu’elle avait choisi les médicaments. Pour que rien ne soit sordide, juste comme si elle dormait. C’était loin d’être la façon qu’elle préferait. Mais elle n’était pas égoïste, elle faisait en sorte de le traumatiser le moins possible. Quoique. Si elle avait vraiment voulu tenir sa promesse, elle serait partie. Pour qu’il ne la voie plus jamais. Pour que son cadavre ne touche pas ses yeux innocents. Mais il était trop tard pour changer d’avis. Quelque part, là haut, une étoile l’attendait. Alors Emy s’allongea, et elle ferma les yeux elle aussi. Plus rien n’avait d’importance. Elle s’éteignit sur un dernier parjure.

    Anthony ouvrit les yeux. Le tic tac avait disparu, les battements de son vrai coeur étant devenus inaudibles. Il se réveilla, la lune était haute dans le ciel, mais quelque chose manquait désespérément. Il éprouvait un sentiment de manque. Il éprouvait un sentiment ! Alors qu’Emy n’était pas… Emy n’était pas là ! Surpris, il tenta de se lever, mais sa tête tournait, et tout d’abord, il ne parvint même pas à s’asseoir. Sa main vint avec difficulté tâter son coeur, prendre son pouls, et en se servant de ce rythme, de son rythme, il parvint à se redresser. Il appela son nom. Sans réponse. Mais où était-Elle ? Un gémissement enfantin s’échappa de ses lèvres. Pourquoi ne se tenait-Elle pas à ses côtés pour le féliciter ? Pourquoi serait-Elle partie ? Ne l’aimait-Elle donc plus ? Sauf si… Et si quelque chose lui était arrivé ? Adrénaline. Il se leva difficilement, tituba. Son instinct le guida dans une direction, puis une autre. Il courait d’un endroit à son opposé, revenant sur ses pas, lorsqu’il La vit. Rassuré, il compris qu’Elle s’était juste éloignée pour dormir. S’approchant, un mauvais pressentiment déchira ses entrailles. Son corps, ses formes, son visage ne bougeaient plus. Un effroi intense lui arracha des larmes tandis qu’il tentait de la ranimer, la secouant, la suppliant de tout son corps.

    Quand il se résigna à lâcher prise, la nuit s’était enfuie, comme incapable d’assister à la détresse du jeune homme. Il se détourna pour vomir. Rien n'avait plus de sens. Le silence et le bruit, l’or et la lune, le chaud et le froid, tout se mélangeait pour ne laisser place qu’à un engourdissement plus dangereux encore. Il attrapa alors la feuille de papier, qu’il avait laissé de côté. S’entailla sur le bord, et regarda son sang couler. Puis lu.

    “Je ne veux pas mourir. Et c’est stupide de dire ça, j’en ai conscience, parce que je me suis moi même donné la mort. Le regard du médecin… Anthony, je ne t’ai jamais dit de quoi sont mort mes parents. Ni pourquoi ma tante a refusé de s’attacher à moi. Une maladie génétique. Je suis condamnée. Ma fin, proche. J’avais peur. Maintenant, je me dis qu’il vaut mieux que  ça arrive maintenant, avant que, par excès de faiblesse, je ne laisse ton nouveau coeur s’attacher à moi. Qu’au moins je le préserve de ça, afin que la trahison te soit douloureuse, mais pas fatale. La couleur de tes yeux… Le médecin avait les même yeux quand il m’a dit que je ne survivrai pas. 

    Infiniment tienne,

    Emy”

     Un garçon hurle. La peine le rend fou, mais il n’a pas le choix. Il aurait voulu l’embrasser, au moins une fois.

    Une fille meurt ; un garçon vit.   


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  •  

     Allongés dans un bois, ils s'effondrèrent de sommeil. Tic, tac, l'horloge avait fait dix-huit tours.

     Un hurlement retentit. Dix-huit heures douze. La douleur explosa dans tout le corps d'Anthony. Emy se réveilla et ses yeux papillonnèrent. Elle se précipita vers le garçon dont les yeux se révulsaient convulsivement.

    -Que se passe-t-il ?!

    -Emy... vingt-quatre tours. C'est... C'est l'heure maintenant...

     L'effroi prenait les deux enfants par les tripes. Le corps de l'adolescente tremblait, tandis qu'elle ne savait pas quoi faire. Elle attrapa la main de son ami, entremêlant leur doigts.

    -Serre ma main, si tu peux, serre ma main, je t'en supplie... Serre ma main, réagis...

     Mais il ne faisait que hurler. Hurler et se débattre contre une douleur qui vrillait son esprit. Il ne pouvait pas bouger, même sa respiration était difficile. Il convulsait, suppliait, criait à s'en déchirer les tympans. Emy ouvrit sa chemise, tremblante comme une feuille d'automne durant l'orage qui gronde. L'horloge, magnifique, vibrait, et les aiguilles, si précieuses, s'agitaient en tout sens. Il y avait quelque chose à l'intérieur, quelque chose qui voulait jaillir. Et petit à petit, le cadran de bois clair s'ouvrit... Pour laisser place une chose magnifique. Un petit, tout petit coucou. Un oiseau de verre et de cristal qui projeté par un mécanisme à la fois ancien et neuf, ouvrit son bec. Pour laisser apparaître un petit cœur rouge sang, qui gonfla, grandit et pris la place de l'oiseau, de l'horloge, jusqu'à s'imbriquer doucement dans la poitrine qui se soulevait à peine. Le sang entoura le jeune cœur tout neuf, et c'est à ce moment que le corps sembla très mal réagir. Anthony commença à vomir le liquide sombre, et s'étouffer. Il était couvert de sueur et brûlant comme une feu d'été. Ses yeux se fermèrent tandis que ses lèvres tentaient en vain de trouver un peu d'air. Sa peau pâle ressortait au fur et à mesure que l'hémoglobine la recouvrait, contraste saisissant d'horreur. Emy ne disait rien, ne bougeait pas, elle se contentait de serrer le garçon dans ses bras, sous le choc, épouvantée. Elle n'avait ni chaud ni froid, seulement peur.

    -Tu sais, finit-il par marmonner d'une voix faible et entrecoupée, je ne veux pas mourir.

    -...

    -Je veux vivre et rester avec toi, et qu'on danse ensemble, encore une fois, ne serait-ce qu'une dernière fois...

     Le sang reflua peu à peu, et soudain tout les oiseaux se posèrent, le vent lui même s'arrêta de souffler, et le crépuscule arrêta le temps. Plus un son, le monde état figé, dans l'attente. Quelque part, peut-être dans le ciel, peut être sur terre, la vie et la mort se battaient, et l'univers attendait l'ombre ou la lumière.

     Boum, boum ; boum, boum. Le cœur s'était mis à battre, il absorba la liqueur bordeaux qui l'entourait. Plus de cristal, mais des cellules, qui constituaient un véritable organe, et la peau, qui reprenait sa place, plus blanche encore que le reste de son épiderme, et comme ultime trace du bain de sang qui s'était tenu là il y a quelques minutes, des traces sombres autour de ses lèvres, et sur son torse. 

     Il était brûlant. Brûlant de vie, brûlait de survivre. Ses yeux fixaient le ciel comme si c'était la seule chose qui eut un jour mérité son attention.

    -Je le vois, maintenant, Emy, soupira-t-il. Le ciel, et le fil qui relie toutes les choses entre elles. Et la lune, qui pleure doucement, au milieu de la nuit. Et le soleil, qui hurle de rage. Je le vois maintenant, la liberté partout autour de moi, les chevaux au galop, le vent qui tourbillonne, les oiseaux et les papillons. Les courants de haine et d'amour qui s'affrontent, les enfants qui meurent en silence, les vies vides, ceux qu'on oublient, ce qui change. Je le vois maintenant, à quel point la vie évolue, à quel point moi, j'ai évolué. Je vois les révoltes vides, les sacrifiés, les scarifiés, et les existences qui se reprogramment, et le deuil, et l'avenir. Les espèces disparues, le mal que je ferai, l'oxygène, l'or et la boue, et le monde. Je le vois maintenant, la mort et la vie qui s’emmêlent, et les connexions logiques que je n'avais jamais remarquée. Je le vois maintenant, ma mère et les crêpes du goûter, et l'épée de Damoclès, et l'univers sans ponctuation sans règle sans rien d'autres que nous ou alors peut-être que nous on compte pas mais c'est pas grave et ma respiration ma poitrine qui se lève et s'abaisse, et...

     Il se tourna vers elle, repris son souffle, posa ses yeux sa voix et son regard. 

    -Je te vois Emy, toi, et ta souffrance, et ta solitude. Mais tu n'es plus seule, plus jamais. Je te vois.

     Et ses yeux se fermèrent.


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  •  

    -C'est toi que je n'abandonnerai jamais Emy. Je te le jure.

     L'horloge avait fait douze tours. Elle était donc retournée au point de départ une première fois. La moitié du temps, déjà, s'était écoulée au rythme régulier des tics, tacs... Le bruit avait tout d'abord agacé Emy, perpétuel compte à rebours indiquant que leurs précieuses secondes défilaient trop vite, les quittaient pour les laisser seuls et désemparés. Mais maintenant, elle y était habituée. Alors, elle ferma les yeux et s'accrocha à l'idée folle et saugrenue que rien de mal ne pouvait lui arriver tant qu'elle entendait ce tic, tac résonner. Et au bout de quelques secondes, elle réprima un rire amer, comme un café sans sucre. Que croyait-elle bien pouvoir fuir ? 

     Dos à elle, le garçon se tenait droit, fort. Elle sourit intérieurement, mais d'un sourire acide. Qui mieux qu'elle savait que l'innocence n'était pas éternelle ? Puis finalement, la jeune femme soupira,  priant pour que celle d'Anthony dure aussi longtemps que possible. Elle se sentit brisée, par le poids des secrets qui pesaient sur sa conscience. Pieds et poings liés, coincée entre une alternative qu'elle savait mauvaise, et une autre qu'elle trouvait encore pire, toute sa culpabilité tourbillonnait dans sa tête. Encore une fois, elle s'était montrée égoïste. Mais c'était la dernière fois de toute sa vie. Elle le jurait. 

     Peut-être qu'elle aurait pu rester là des heures, à se battre à l'intérieur d'elle-même, mais lui se leva et se plaça face à elle. Intriguée, elle prit cependant la main qu'il lui tendait

    -J'ai pris des cours de danse quand j'étais petit, avec l'école. J'aimerais recommencer avec toi, pour voir quelles émotions ça procure.

    -Mais... Il n'y a pas de musique...

    -Écoute bien. Moi, j'entends toujours de la musique dans ma tête. Alors, mademoiselle, m'accorderez vous cette danse ?

     Le sourire d'Emy devient éclatant, plus sincère, plus doux. Elle se laisse entraîner, sous le regard bienveillant de l’Étoile du Berger, qui dispense ses derniers éclats, dans une valse endiablée. L'aurore n'appartient à personne, sinon à la nuit qui meurt et au jour qui naît. Mais peut-être qu'aujourd'hui, l'aube est un peu à eux aussi, peut-être que ce moment, ils l'ont mérité, ils l'ont gagné. Un coup de vent et ils tourbillonnent. Sont-ils des enfants ? Des adultes ? Ils rient comme des enfants, espèrent comme des enfants, rêvent comme des enfants, et c'est peut-être ce qui les rend plus grands. La chaleur de leurs corps s'unit, s'éloigne, s'effleure. La pluie tombe. Et tout se brise. Chaque barrière posée dans leur esprit. Les erreurs les réussite la fierté la honte la peur tout sort dans leurs gestes sans aucun ordre ni signe de ponctuation. Pas de jugement, pas de larmes, mais les gestes lents du regret se mêlent à des éclats de colères qui entrecoupent la joie. Beaucoup de joie. « Parce qu'au final la vie c'est quoi ? C'est des malentendus, et du temps perdu, alors oublie le temps qui tue, si souvent, à coup de pourquoi, le cœur du bonheur... » Ce sont les paroles d'une chanson... « Si Fauve avait écrit -Ne me quitte pas- ». C'est la musique qui défile dans la tête d'Emy, et peu à peu, c'est elle qui accélère, et qui domine. Elle comprend aussi que, alors qu'elle croyait guider le garçon, ça a toujours été l'inverse. Toujours lui qui l'entraîne. Et elle se souvient pourquoi elle était allée au cimetière ce jour là. Alors elle va plus vite, encore. Si elle s'arrête, elle tombe. Si elle s'arrête, elle... Anthony la force à ralentir, mais ils sont plus prêt l'un de l'autre. Sa main dans le creux de ses hanches, la soutient. Son souffle est chaud. Et ses yeux lui disent « Tout ira bien ».

     Deux enfant dansent comme si leur vie en dépendait.

     Et quand enfin ils s’arrêtèrent, le monde s'arrêta un peu lui aussi. Ils riaient, et gravèrent cette image dans leur esprit, pour ne jamais, jamais, quel qu’en soit le prix, oublier l'odeur de la liberté. L'odeur de l'herbe mouillée, de la pluie, l'odeur du matin, de la sueur propre, l'odeur de deux corps qui se mélangent, jusqu'à n'en former qu'un. Ils parlèrent encore pendant des heures, en marchant, en courant. Parfois ils s'arrêtèrent, jamais plus ils ne dansèrent. Peut-être que le souvenir de cette valse était encore trop fort, peut-être que recommencer briserait la magie de la première fois ? 

     Allongés dans un bois, ils s'effondrèrent de sommeil. Tic, tac, l'horloge avait fait dix-huit tours.


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