• Partie 21

     

    -C'est toi que je n'abandonnerai jamais Emy. Je te le jure.

     L'horloge avait fait douze tours. Elle était donc retournée au point de départ une première fois. La moitié du temps, déjà, s'était écoulée au rythme régulier des tics, tacs... Le bruit avait tout d'abord agacé Emy, perpétuel compte à rebours indiquant que leurs précieuses secondes défilaient trop vite, les quittaient pour les laisser seuls et désemparés. Mais maintenant, elle y était habituée. Alors, elle ferma les yeux et s'accrocha à l'idée folle et saugrenue que rien de mal ne pouvait lui arriver tant qu'elle entendait ce tic, tac résonner. Et au bout de quelques secondes, elle réprima un rire amer, comme un café sans sucre. Que croyait-elle bien pouvoir fuir ? 

     Dos à elle, le garçon se tenait droit, fort. Elle sourit intérieurement, mais d'un sourire acide. Qui mieux qu'elle savait que l'innocence n'était pas éternelle ? Puis finalement, la jeune femme soupira,  priant pour que celle d'Anthony dure aussi longtemps que possible. Elle se sentit brisée, par le poids des secrets qui pesaient sur sa conscience. Pieds et poings liés, coincée entre une alternative qu'elle savait mauvaise, et une autre qu'elle trouvait encore pire, toute sa culpabilité tourbillonnait dans sa tête. Encore une fois, elle s'était montrée égoïste. Mais c'était la dernière fois de toute sa vie. Elle le jurait. 

     Peut-être qu'elle aurait pu rester là des heures, à se battre à l'intérieur d'elle-même, mais lui se leva et se plaça face à elle. Intriguée, elle prit cependant la main qu'il lui tendait

    -J'ai pris des cours de danse quand j'étais petit, avec l'école. J'aimerais recommencer avec toi, pour voir quelles émotions ça procure.

    -Mais... Il n'y a pas de musique...

    -Écoute bien. Moi, j'entends toujours de la musique dans ma tête. Alors, mademoiselle, m'accorderez vous cette danse ?

     Le sourire d'Emy devient éclatant, plus sincère, plus doux. Elle se laisse entraîner, sous le regard bienveillant de l’Étoile du Berger, qui dispense ses derniers éclats, dans une valse endiablée. L'aurore n'appartient à personne, sinon à la nuit qui meurt et au jour qui naît. Mais peut-être qu'aujourd'hui, l'aube est un peu à eux aussi, peut-être que ce moment, ils l'ont mérité, ils l'ont gagné. Un coup de vent et ils tourbillonnent. Sont-ils des enfants ? Des adultes ? Ils rient comme des enfants, espèrent comme des enfants, rêvent comme des enfants, et c'est peut-être ce qui les rend plus grands. La chaleur de leurs corps s'unit, s'éloigne, s'effleure. La pluie tombe. Et tout se brise. Chaque barrière posée dans leur esprit. Les erreurs les réussite la fierté la honte la peur tout sort dans leurs gestes sans aucun ordre ni signe de ponctuation. Pas de jugement, pas de larmes, mais les gestes lents du regret se mêlent à des éclats de colères qui entrecoupent la joie. Beaucoup de joie. « Parce qu'au final la vie c'est quoi ? C'est des malentendus, et du temps perdu, alors oublie le temps qui tue, si souvent, à coup de pourquoi, le cœur du bonheur... » Ce sont les paroles d'une chanson... « Si Fauve avait écrit -Ne me quitte pas- ». C'est la musique qui défile dans la tête d'Emy, et peu à peu, c'est elle qui accélère, et qui domine. Elle comprend aussi que, alors qu'elle croyait guider le garçon, ça a toujours été l'inverse. Toujours lui qui l'entraîne. Et elle se souvient pourquoi elle était allée au cimetière ce jour là. Alors elle va plus vite, encore. Si elle s'arrête, elle tombe. Si elle s'arrête, elle... Anthony la force à ralentir, mais ils sont plus prêt l'un de l'autre. Sa main dans le creux de ses hanches, la soutient. Son souffle est chaud. Et ses yeux lui disent « Tout ira bien ».

     Deux enfant dansent comme si leur vie en dépendait.

     Et quand enfin ils s’arrêtèrent, le monde s'arrêta un peu lui aussi. Ils riaient, et gravèrent cette image dans leur esprit, pour ne jamais, jamais, quel qu’en soit le prix, oublier l'odeur de la liberté. L'odeur de l'herbe mouillée, de la pluie, l'odeur du matin, de la sueur propre, l'odeur de deux corps qui se mélangent, jusqu'à n'en former qu'un. Ils parlèrent encore pendant des heures, en marchant, en courant. Parfois ils s'arrêtèrent, jamais plus ils ne dansèrent. Peut-être que le souvenir de cette valse était encore trop fort, peut-être que recommencer briserait la magie de la première fois ? 

     Allongés dans un bois, ils s'effondrèrent de sommeil. Tic, tac, l'horloge avait fait dix-huit tours.


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