• Parmi les sept milliards de terriens, et l'ensemble de leurs désirs, il y en a un, au moins, qui touche l'ensemble de l'humanité : le désir d'être heureux. Et c'est pourquoi on entend souvent que telle ou telle personne, après avoir traversé des épreuves ou avoir fait de bonnes actions "mérite d'être heureux". Et pourtant, Voltaire, philosophe des lumières, semble nous indiquer le contraire : dans son livre Zadig, le personnage éponyme se distingue par la valeur et la vertu qu'il garde dans toutes ses mésaventures. Mais justement, lui, un homme vertueux et droit, est l'archétype du personnage qui "mérite le bonheur". Alors pourquoi se succèdent ces mésaventures ? Pourquoi, dans les toutes premières pages du livres, alors même qu'il tente d'être honnête à propos de la jument du roi, sa franchise lui attire des problèmes ? Cela tendrait donc à prouver que le bonheur ne se mérite pas. D'un autre côté, cependant, le conte philosophique se finit bien : comme si, bien que chaque action positive qu'avait fait Zadig, bien qu'elle lui aie apporté, à court terme, de grands malheurs, avait participé à lui donner un bon karma, ce qui lui offre le droit, non pas aux petites joies passées, mais bien au grand bonheur final.

    Alors finalement, le bonheur, est-ce une question de mérite, ou de chance ? Peut-on être heureux sans le mériter ?


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  • Sujet : réécrire les trois lignes concernant la danse de Lol V. Stein, pour en faire 90. 

     Elles dansaient ensemble tous les jeudis, sans aucune exception. Lol adorait ses moments légers où elle pouvait enfin, pour reprendre l'expression de Tatiana, être entière. Ensemble, elles occupaient le préau vide, elles avaient de l'espace pour bouger, pour exister. Cette faveur, si souvent refusée aux autres, leur était toujours accordée.  Les deux adolescentes avaient ces étoiles dans les yeux, ces trémolos dans la voix, cette douceur enfantine et adorable, on n'avait pas le cœur de les décevoir. Alors on les laissait faire, et d'ailleurs, c'était toujours avec un grand plaisir, parce que leur joie ravissait les yeux et les cœurs. 

     Il y avait dans une cour voisine, une vieille radio, qui passait de vieilles musiques brouillées de grésillement, des danses un peu démodées, mais ça leur allait parfaitement. L'âge de la musique n'avait aucune importance, ce qui comptait c'était vivre, c'était ressentir,  c'était trouver de l'espoir, encore un peu. D'ailleurs, autour de Lol, j'avais toujours remarqué cette étrange aura, comme si elle venait d'une autre époque, comme si elle était née deux siècle trop tard, ou trop tôt. Plus tard, je m'étais souvent demandé si c'était cela, son état presque hors du temps, la cause de cette maladie. Mais elle en était tellement plus belle. Cela la rendait brillante dans ce monde fade, cela rendait sa présence éclatante et fantastique, elle m'attirait comme l'aurait été un papillon par la lumière aveuglante au bout du tunnel... 

     Et donc, toutes les deux, chaque jeudi sans exception, elles se mettaient au centre du préau, elles étaient comme les reines du monde, me racontait Tatiana. Les reines du monde, parce que ce dernier était toujours là, tout autour d'elles. Elles ne s'égaraient pas dans les méandres de leur esprit, ne s'enfermaient pas dans leur pensées, au contraire. Lol était enfin là, pleinement, entière, et c'était si rare. Elle s'ouvrait vraiment, acceptait enfin les connexions qui relient toutes les choses entre elles, du plus blanc des nuages à la plus sale des pierres. Les bruits de la rue et du monde ne s'arrêtaient pas, au contraire, ils se mêlaient au rythme de leur pas, à la mélodie désuète qui illuminait leur après-midi. Les enfants qui jouaient en contrebas, les oiseaux, la pluie sur les vitre, l'univers s'unissait à elles et devenait un peu plus grand. Dans ses moments là, Lol revenait. Son sourire se faisait plus éclatant, plus sincère aussi.

     Quand les trois temps d'une valse sautillante commençaient à pulser, elle était incapable de s'en empêcher. Sa voix légère s'envolait aborder les courants d'air : « Serre moi fort Tatiana, virevolte avec moi. Serre moi fort. » Son corps se mettait en mouvement comme si elle n'avait été crée que pour cela. Les accords la traversaient, pénétrants, incontrôlables. Virevolte avec moi, Tatiana. Un coup de vent, et les deux jeunes filles tourbillonnaient, telles des plumes de colombe dans une tempête de feu. Les contours devenaient flous. Étaient-elles des enfants ? Des adultes ? Elles riaient comme des enfants, espéraient comme des enfants, rêvaient comme des enfants, et c'était peut-être ce qui les rendait plus grandes. La chaleur de leurs corps se trouvait, s'éloignait, s'effleurait dans un immense ballet, mille fois répété, mais toujours, systématiquement, unique. Serre moi fort Tatiana ! 

     Si, par chance, il pleuvait, ces instants devenaient plus magique encore. Elles sortaient de l'abri de bois protégé pour goûter les gouttes, pour laisser l'eau venue du ciel les nettoyer et les sauver. Alors, tout ce qui les emprisonnait, les blessait, tout cela se brisait. Il ne restait rien de leurs hésitations ou tourments. Chaque barrière posée dans leur esprit s'effondrait. Les erreurs les réussite la fierté la honte la peur tout sortait dans leurs élans sans aucun ordre ni signe de ponctuation. Pas de jugement, pas de larmes, uniquement les gestes lents du regret se mêlant à des éclats de colères qui entrecoupaient la joie. Beaucoup de joie. Toujours la joie. Tatiana et Lol existaient, elles étaient là, semblant plus grandes et plus fortes. Plus libres. 

     Un observateur n'aurait vu que deux adolescentes dansant sur de vieilles chansons, pareilles à de nombreuses autres. Qu'avaient-elles, après tout, de si extraordinaire, ces deux là ? Deux bras entrelacés, terminés par deux mains et dix doigts, comme le plus banal des écolier. Deux jambes, qui prouvaient un bon sens du rythme, deux jambes qui se dessinaient mal sous la robe, mais deux jambes achevées par deux pieds. Un visage fin, avec des grands yeux, des lèvres roses et une peau claire. Selon tous les critères sociaux, elles étaient jolies. Pas plus, pourtant, que n'importe quelles autres étudiantes. Leur joues rougies indiquait un afflux de sang, un peu de fraîcheur dans l'atmosphère. Rien que de très banal. Deux simples humaines dansant dans un préau vide.

     Mais, il y avait plus que ça. Plus que juste le mouvement perpétuel, que le froissement du tissu, que les cheveux se balançant. Quand elles se laissaient porter par la musique jusqu'à la mort du jour,  l'extérieur prenait une nouvelle saveur. L'air semblait plus vivifiant, et le froid plus doux. Le crépuscule n'appartenait à personne, sinon à la nuit qui naissait et au jour qui mourrait. Mais, tous les jeudis, sans exception, peut-être que le déclin du soleil était un peu à eux aussi, peut-être que ce moment, elles l'avaient mérité, elles l'avaient gagné ! Chaque fois, c'était une véritable fête, la victoire de la vie sur l'adversité. Chaque fois, elles fêtaient le bonheur d'être sur Terre, une semaine de plus. Elles avaient le droit, elles aussi, de trouver leur place, le temps d'un jeudi, le temps de tous les jeudis.

     La voix de Lol, encore une fois, s'envolait chatouiller le Zéphyr, tandis qu'elle laissait s'élever la mélodie délivrée par la radio. Le pépiement d'un oiseau n'aurait pas su être plus léger, ni plus doux. Tatiana décrit toujours comme particulièrement unique l'expérience du chant de sa meilleure amie. Il y avait à la fois quelque chose de dérangeant et de magnifique dans tant d'émotions vibrantes et vacillantes, dans tant de pureté... Lol a toujours été trop. Trop enthousiaste, trop triste, trop fragile, trop heureuse, juste trop. 

     Durant ces interludes à la vie de tout les jours, elle d'habitude trop effacée, prenait enfin le contrôle de tout, et d'ailleurs, quand la vieille radio ne marchait pas, elle inventait toujours sa propre musique, et entraînait sa meilleure amie. Ces fois là, m'a raconté Tatiana, étaient les meilleures. Elle accélérait encore et encore, toujours plus vite jusqu'à ce que sa vision périphérique se brouille. Dans sa tête, une seule pensée : « Si je m'arrête, je tombe. Si je m'arrête, plus rien ne tient. Si je m'arrête, je meurs. » Dans sa tête, des voix la poussaient à continuer jusqu'à l'épuisement, jusqu'à n'être plus rien que du mouvement, toujours du mouvement. Elle dansait jusqu'à se réduire elle-même au chaos, espérant renaître. Quelque chose lâchait dans sa tête, mais elle en avait besoin. Tellement besoin qu'elle ne pouvait même plus se contenir. Finalement, son amie l'attirait à elle, la forçait à ralentir, à s'apaiser, la soutenait. 

     Deux enfants dansaient comme si leur vie en dépendait. Et quand enfin elles s’arrêtèrent, le monde s'arrêta un peu, lui aussi. Elles riaient, et gravèrent cette image dans leur esprit, pour ne jamais, jamais, quel qu’en soit le prix, oublier l'odeur de la liberté. L'odeur de l'herbe mouillée, de la pluie, l'odeur du matin, de la sueur propre, l'odeur de deux corps qui se mélangent, jusqu'à n'en former qu'un. 

     C'est ce que je sais.


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  • Sujet d’invention : En 1870, lors d’une de ses fugues, le jeune Arthur Rimbaud (cf. texte C) s’arrête dans un cabaret pour y commander une boisson et y composer des vers. Soudain, un homme entre : à ses vêtements et à son air fatigué, on devine qu’il sort du travail. Il apostrophe le jeune poète, lui reprochant son apparence négligée, mais aussi son inutilité pour la société. Rimbaud, vivement, tente de lui ouvrir les yeux sur le(s) rôle(s) du poète et de la poésie. À travers un dialogue de type romanesque (et non théâtral) d’environ 90 lignes, vous imaginerez l’échange entre les deux personnages.

     

    Noir. Tout était noir. Comme toujours quand il sortait des mines de charbons, Étienne ne voyait que du noir partout. Sur les visages de ses camarades et sur leurs mains. Dans le ciel nocturne, les nuages noyaient les étoiles. Il soupira, se laissant guider par le flots de travailleurs qui marchaient d'un pas régulier et lent vers le Cabaret. Sans doute, il y a longtemps, ce lieu avait eu un nom, mais à ce jour, il n'était plus que le Cabaret. Le monde faisait ça, il supprimait les identités propres. Et ce soir là, comme si souvent, Étienne comptait bien noyer tout ses problèmes dans l'alcool. Plus de honte. Plus de peur.

    Juste quelques pintes de bières, tituber jusqu'à chez lui. Sa femme, ses enfants... Mais pour l'instant, l'alcool. Sa table favorite dans l'angle et près de la fenêtre, qu'il avait l'habitude d'occuper tous les soirs avec quelques gars, accueillait déjà un visiteur. Il soupira, mais, en tant qu'habitué, il était hors de questions qu'il change sa routine. Il s'installa donc non loin de l'inconnu après avoir commandé un verre, et lui lança un regard intrigué. Le Cabaret voyait très peu d'étrangers. Et celui-ci était définitivement à vomir. Un jeune, quinze, seize ans au maximum. Il avait de jolis yeux clairs, et des cheveux blonds légèrement ébouriffés. De ses longs doigts fins, comme ceux des pianistes, il écrivait des un carnet, lançant des regards furtifs autour de lui. Une aura légère l'entourait, celle qui caractérisait les jeunes enfants, les vieilles femmes ou les artistes. Et ce soir là, quelque chose cassa dans l'âme d’Étienne. Peut-être que c'était parce que le fils de sa sœur, né depuis quelques jours à peine, venait de mourir. Peut-être que les heures de d'enfermements qui finissaient presque par le rendre agoraphobe avait rendu son cœur aussi ses et cassant que le pain rassit que sa femme lui servait chaque matin. Toujours est-il que ce petit impudent, qui n'avait certainement jamais travaillé, qui semblait bien plus insouciant que ses fils, pourtant plus jeune, l'horripilait.

    -Eh, toi ! Tu n'as pas honte de te présenter ici, devant des vrais hommes qui travaillent !

    -Moi ? Mais je travaille aussi !

    -Tu... Pardon ? Toi, tu travailles, gronda le mineur qui sentait sa voix s'étrangler sous le coup de la colère. Tu travailles ? Et quel est ton métier, exactement ?

    -J'écris des vers. Et c'est un métier très respectable.

    -Non. Non, ce n'est pas respectable. Tu n'es qu'un petit garçon qui croit avoir compris le sens de la vie, mais regardes-toi ! Si j'étais tes parents, j'aurais honte d'avoir un fils qui s'habille de façon aussi négligée !

    -L'habit ne fais pas le moine, et un homme ne se résume pas à son apparence.

    -Oh, mais rien qu'en te regardant, je pourrais dire énormément de choses de toi !

    -Ah ? Je suis toute ouïe !

    -Des mains blanches, des mains de femmes. Tu n'as jamais fait de travaux manuels. Des bras faibles. Tu n'aides pas tes parents au champs. Et pourquoi cela ? Parce que, comme le carnet que tu utilise coûte plus cher que les vêtements de mes enfants, j'imagine que tes parents n'ont jamais eu besoin de toi. D'ailleurs comme tu écris, au lieu de commencer à vivre, tu as certainement été à l'école. Aller, rentre chez toi gamins, et retourne sur ton piédestal d'où tu crois dominer le monde.

    La foule de mineur qui s'était approchée marmonna son approbation. A Douais, les hommes n'étaient pas accueillants, et ils avaient en eux une profonde colère face à tout ces gens qui ne travaillaient pas.

    -Pardon, intervint le jeune homme de sa voix fluette. Mais la force physique est loin d'être celle qui importe le plus, et si je ne suis pas un ouvrier ou un mineur, j'ai d'autres talents.

    -Comme quoi ? Rédiger des livres ? C'est bien une passion de bourges, ça. J'en ai lu, moi, des livres à l'école, et ce ne sont que des gens qui croient tout savoir mieux que tout le monde. Mais dis moi, qu'apportes-tu dans la société ?

    -J'écris de la poésie. Un jour, vous pourrez acheter des recueils de mes poèmes pour faire rêver vos enfants ! Nos âmes et notre plume changera votre monde.

    -Des années et des années que des gens écrivent. Qu'est ce qui a changé pour nous ? Est-ce qu'on est moins pauvres ? Plus heureux ? Nos enfants crèvent de faims où meurent dans les mines pendant que tu écris des vers. Alors, dis-moi, à quoi tu sers ?

    Le jeune garçon, ni effrayé, ni décontenancé, ferma les yeux un instant, pour évaluer la portée de l'argument qu'il venait de recevoir, et y réfléchir. Dehors, la lune moqueuse le regardait. Soudain, il sembla s'animer, sa voix prit des accents passionnés, ses mains s'agitèrent et il se colora

    -La poésie apporte de la beauté. Quel est l'intérêt d'une vie de travail ? D'une vie où le soleil ne fait que brûler, où la nuit ne sert qu'à dormir ? J'écris des miracles pour donner du rêve à tous les désespérés ! J'amène l'espoir, lança-t-il en se levant.

    -Mes gosses, sachant que mon plus jeune fils a sept ans, ils travaillent tous. Ton espoir, il se transcrit par des mots qu'ils ne savent pas lire. Ce que tu fais, c'est apporter de la beauté à ceux qui la voient tout les jours, et encore une fois, toi, et ceux de votre espèces, vous ignorez ceux que vous ne voulez pas voir.

    -Nous touchons la quintessence de l'âme humaine, et nous voulons nous élever, pour vous montrer la voie. Nous voulons trouver les mots qui touchent chaque choses pour extraire la beauté du monde et l'offrir au monde. Nous voulons définir les sentiments, l'amour, et trouver la consistance exacte de chacun des mots. Nous cherchons à comprendre ce que Dieu a mis en chaque chose !

    -Alors, gamin, tu n'as rien compris. Tu n'as pas besoin de mots pour décrire l'éclat de la lune, ou le bruit des oiseaux. La tristesse, c'est la tristesse, et l'amour, c'est de l'attachement. Tu crois que tu fais quelque chose de grand, mais tu trouves juste des parades pour ne pas affronter la vie, le travail, les responsabilités d'une famille, et la difficulté de la nourrir.

    -Notre combat est différent. Nous nous sommes habitués au mépris, et à la haine. La poésie est incomprise, mais elle s'engage dans la liberté, l'égalité, et dans tout ce qui le mérite. Notre combat est différent, mais pas moins respectable.

    -Si.Quand je ramasse du charbon, je produis de l'énergie pour mon pays. Et toi ? Je sauve la vie de ma famille en rapportant que quoi subvenir à nos besoins. Dis moi, ton combat a-t-il déjà sauvé des vies ?

     

    Étienne se leva et partit sans attendre de réponse. Dehors, dans le froid, la lune éclairait la nuit.


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