• Sujet d'Invention sur le rôle du poète

    Sujet d’invention : En 1870, lors d’une de ses fugues, le jeune Arthur Rimbaud (cf. texte C) s’arrête dans un cabaret pour y commander une boisson et y composer des vers. Soudain, un homme entre : à ses vêtements et à son air fatigué, on devine qu’il sort du travail. Il apostrophe le jeune poète, lui reprochant son apparence négligée, mais aussi son inutilité pour la société. Rimbaud, vivement, tente de lui ouvrir les yeux sur le(s) rôle(s) du poète et de la poésie. À travers un dialogue de type romanesque (et non théâtral) d’environ 90 lignes, vous imaginerez l’échange entre les deux personnages.

     

    Noir. Tout était noir. Comme toujours quand il sortait des mines de charbons, Étienne ne voyait que du noir partout. Sur les visages de ses camarades et sur leurs mains. Dans le ciel nocturne, les nuages noyaient les étoiles. Il soupira, se laissant guider par le flots de travailleurs qui marchaient d'un pas régulier et lent vers le Cabaret. Sans doute, il y a longtemps, ce lieu avait eu un nom, mais à ce jour, il n'était plus que le Cabaret. Le monde faisait ça, il supprimait les identités propres. Et ce soir là, comme si souvent, Étienne comptait bien noyer tout ses problèmes dans l'alcool. Plus de honte. Plus de peur.

    Juste quelques pintes de bières, tituber jusqu'à chez lui. Sa femme, ses enfants... Mais pour l'instant, l'alcool. Sa table favorite dans l'angle et près de la fenêtre, qu'il avait l'habitude d'occuper tous les soirs avec quelques gars, accueillait déjà un visiteur. Il soupira, mais, en tant qu'habitué, il était hors de questions qu'il change sa routine. Il s'installa donc non loin de l'inconnu après avoir commandé un verre, et lui lança un regard intrigué. Le Cabaret voyait très peu d'étrangers. Et celui-ci était définitivement à vomir. Un jeune, quinze, seize ans au maximum. Il avait de jolis yeux clairs, et des cheveux blonds légèrement ébouriffés. De ses longs doigts fins, comme ceux des pianistes, il écrivait des un carnet, lançant des regards furtifs autour de lui. Une aura légère l'entourait, celle qui caractérisait les jeunes enfants, les vieilles femmes ou les artistes. Et ce soir là, quelque chose cassa dans l'âme d’Étienne. Peut-être que c'était parce que le fils de sa sœur, né depuis quelques jours à peine, venait de mourir. Peut-être que les heures de d'enfermements qui finissaient presque par le rendre agoraphobe avait rendu son cœur aussi ses et cassant que le pain rassit que sa femme lui servait chaque matin. Toujours est-il que ce petit impudent, qui n'avait certainement jamais travaillé, qui semblait bien plus insouciant que ses fils, pourtant plus jeune, l'horripilait.

    -Eh, toi ! Tu n'as pas honte de te présenter ici, devant des vrais hommes qui travaillent !

    -Moi ? Mais je travaille aussi !

    -Tu... Pardon ? Toi, tu travailles, gronda le mineur qui sentait sa voix s'étrangler sous le coup de la colère. Tu travailles ? Et quel est ton métier, exactement ?

    -J'écris des vers. Et c'est un métier très respectable.

    -Non. Non, ce n'est pas respectable. Tu n'es qu'un petit garçon qui croit avoir compris le sens de la vie, mais regardes-toi ! Si j'étais tes parents, j'aurais honte d'avoir un fils qui s'habille de façon aussi négligée !

    -L'habit ne fais pas le moine, et un homme ne se résume pas à son apparence.

    -Oh, mais rien qu'en te regardant, je pourrais dire énormément de choses de toi !

    -Ah ? Je suis toute ouïe !

    -Des mains blanches, des mains de femmes. Tu n'as jamais fait de travaux manuels. Des bras faibles. Tu n'aides pas tes parents au champs. Et pourquoi cela ? Parce que, comme le carnet que tu utilise coûte plus cher que les vêtements de mes enfants, j'imagine que tes parents n'ont jamais eu besoin de toi. D'ailleurs comme tu écris, au lieu de commencer à vivre, tu as certainement été à l'école. Aller, rentre chez toi gamins, et retourne sur ton piédestal d'où tu crois dominer le monde.

    La foule de mineur qui s'était approchée marmonna son approbation. A Douais, les hommes n'étaient pas accueillants, et ils avaient en eux une profonde colère face à tout ces gens qui ne travaillaient pas.

    -Pardon, intervint le jeune homme de sa voix fluette. Mais la force physique est loin d'être celle qui importe le plus, et si je ne suis pas un ouvrier ou un mineur, j'ai d'autres talents.

    -Comme quoi ? Rédiger des livres ? C'est bien une passion de bourges, ça. J'en ai lu, moi, des livres à l'école, et ce ne sont que des gens qui croient tout savoir mieux que tout le monde. Mais dis moi, qu'apportes-tu dans la société ?

    -J'écris de la poésie. Un jour, vous pourrez acheter des recueils de mes poèmes pour faire rêver vos enfants ! Nos âmes et notre plume changera votre monde.

    -Des années et des années que des gens écrivent. Qu'est ce qui a changé pour nous ? Est-ce qu'on est moins pauvres ? Plus heureux ? Nos enfants crèvent de faims où meurent dans les mines pendant que tu écris des vers. Alors, dis-moi, à quoi tu sers ?

    Le jeune garçon, ni effrayé, ni décontenancé, ferma les yeux un instant, pour évaluer la portée de l'argument qu'il venait de recevoir, et y réfléchir. Dehors, la lune moqueuse le regardait. Soudain, il sembla s'animer, sa voix prit des accents passionnés, ses mains s'agitèrent et il se colora

    -La poésie apporte de la beauté. Quel est l'intérêt d'une vie de travail ? D'une vie où le soleil ne fait que brûler, où la nuit ne sert qu'à dormir ? J'écris des miracles pour donner du rêve à tous les désespérés ! J'amène l'espoir, lança-t-il en se levant.

    -Mes gosses, sachant que mon plus jeune fils a sept ans, ils travaillent tous. Ton espoir, il se transcrit par des mots qu'ils ne savent pas lire. Ce que tu fais, c'est apporter de la beauté à ceux qui la voient tout les jours, et encore une fois, toi, et ceux de votre espèces, vous ignorez ceux que vous ne voulez pas voir.

    -Nous touchons la quintessence de l'âme humaine, et nous voulons nous élever, pour vous montrer la voie. Nous voulons trouver les mots qui touchent chaque choses pour extraire la beauté du monde et l'offrir au monde. Nous voulons définir les sentiments, l'amour, et trouver la consistance exacte de chacun des mots. Nous cherchons à comprendre ce que Dieu a mis en chaque chose !

    -Alors, gamin, tu n'as rien compris. Tu n'as pas besoin de mots pour décrire l'éclat de la lune, ou le bruit des oiseaux. La tristesse, c'est la tristesse, et l'amour, c'est de l'attachement. Tu crois que tu fais quelque chose de grand, mais tu trouves juste des parades pour ne pas affronter la vie, le travail, les responsabilités d'une famille, et la difficulté de la nourrir.

    -Notre combat est différent. Nous nous sommes habitués au mépris, et à la haine. La poésie est incomprise, mais elle s'engage dans la liberté, l'égalité, et dans tout ce qui le mérite. Notre combat est différent, mais pas moins respectable.

    -Si.Quand je ramasse du charbon, je produis de l'énergie pour mon pays. Et toi ? Je sauve la vie de ma famille en rapportant que quoi subvenir à nos besoins. Dis moi, ton combat a-t-il déjà sauvé des vies ?

     

    Étienne se leva et partit sans attendre de réponse. Dehors, dans le froid, la lune éclairait la nuit.


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