• Elle était de dos, mais il devinait sur sa nuque un fermoir. Celui du collier qui indiquait « Emy ».  Sa démarche, était plus adulte et pleine d'une dignité qui ne correspondait pas à son adolescence. Il ne voyait même pas son visage, et pourtant... Il savait que c'était elle. Il le sentait. C'était encore plus beau que dans ses rêves. Elle marchait, il la suivait, sans un mot. Elle ne l'avait pas encore remarqué, perdue dans ses pensées. Elle sortit légèrement de la ville, et alla dans un des seuls lieux qu'Anthony n'avait jamais approché : le cimetière. Il était toujours à sa suite, silencieux, refusant à tout prix de perturber l'aura de douleur et de peine qu'elle avait autour d'elle. Elle se dirigea vers une tombe sur laquelle deux noms étaient gravés en lettres attachés. « Lily et Warren Collins ». Elle s'effondra en sanglots. Le garçon à l'horloge la fixa un instant, perdu. Il ne savait pas trop ce qu'il convenait de faire ou dire dans cette étrange situation. Il avait toujours été rare que d'autres pleurent devant lui. Alors, il attendit en silence. Le temps se déforma de sorte qu'il ne sut pas s'ils étaient là depuis quelques instants ou des heures, mais soudainement, elle se retourna et le toisa.

    -Bonjour, chuchota-t-il.

    -Bonjour, répondit-elle froidement. 

     Ils recommencèrent à se regarder en silence, alors qu'un vent du Nord balayait leurs cheveux et les faisait frissonner, avant que la jeune fille reprenne d'une voix neutre :

    -Je peux t'aider ?

    -Emy... Je ne sais pas si vous...

    -Comment tu connais mon nom, demanda-t-elle, avant de rougir brusquement et de bredouiller, ma gourmette j'imagine...

     Anthony hocha à la tête, et ses bouclettes noires s'agitèrent autour de son visage. Le vent s'arrêta, il détourna maladroitement le regard.

    -Je m'appelle Anthony. Nous nous sommes déjà rencontrés, dans ce village, il y a huit ans de cela.

    -Le petit garçon qui sortait de la boulangerie. Sur lequel je suis tombée. J'espère que tu ne m'en a pas gardé rancœur pendant plus de huit ans !

    -Est-ce que vous seriez prête à écouter une histoire étrange, à laquelle vous ne croiriez peut-être pas ?


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  •  Chaque soir, sa mère passait le prendre à l'école et ils allaient manger une crêpe ensemble. C'était devenu une tradition entre eux. Cette fois-ci, cependant, elle avait un air grave, et elle le ramena directement dans la demeure familiale. Elle lui prépara un chocolat chaud, embrassa son front, et enfin, lança la conversation.

    -Je me suis renseignée sur cette petite Emy pour toi mon trésor.

    -Alors ?

    -Eh bien, elle n'était là que pour la journée. Elle allait se recueillir sur la tombe de sa mère. Tu te souviens de Monsieur Damons, décédé il y a quatre ans ? Eh bien c'était son grand-père du côté maternel. Sa femme était déjà morte avant que tu naisses. La mère d'Emy a donc voulu être enterrée aux côtés de ses parents. C'est pour ça que la fillette est venue aujourd'hui. Et elle est repartie dès l'aube ce matin. Je suis désolée mon cœur.

    -Je la reverrai, lui lança-t-il en la regardant dans les yeux.

    -J'en suis persuadée.

     

     Depuis ce jour, si le comportement d'Anthony ne changea pas considérablement, il avait cependant des phases brumeuses où il restait assis sans bouger pendant plusieurs heures. Et à chaque fois, il répétait qu'il la reverrait. Ce n'était pas un espoir, ni une croyance, ce n'était pas une volonté. C'était une certitude. Ses aiguilles ne s'arrêteraient pas tant qu'il ne l'aurait pas retrouvée. Parfois, la puissance de cette conviction lui faisait littéralement mal. D'ailleurs, la douleur qui s'imposait à lui quand les situations y étaient propices ne le dérangeait pas tellement. Il s'y était habitué plutôt rapidement, au final. Mais rien d'autre ne se développait au cœur de son horloge.  

     

     Et huit ans plus tard, pantalon noir et chemise bleue cobalt, alors qu'il sortait de chez lui pour aller au lycée, il la revit. Elle avait beaucoup changé, ses cheveux autrefois bruns s'étaient éclaircis, lui conférant un joli châtain, très doux. Alors qu'il l'imaginait toujours en robe bleue, cette fois elle était tout de noir vêtue. Elle était de dos, mais il devinait sur sa nuque un fermoir. Celui du collier qui indiquait « Emy ».


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  • Il se réveilla le lendemain sans même avoir réalisé qu'il s'était endormi. Sa mère lui avait laissé quelques tartines recouvertes de confiture de mangue, qu'il avala rapidement, sans même savoir pourquoi. Et c'est presque en courant qu'il arriva à l'école pour retrouver ses camarades dans la cour goudronnée. Inconsciemment il cherchait la petite Emy. Mais elle n'était pas là. Quand la sonnerie du matin retentit, interrompant la partie de basket que les enfants disputaient, ils entrèrent en classe et au fur et à mesure que le silence se faisait, le tic tac de son cœur devint de plus en plus bruyant. Il montra calmement sa montre, comme si c'était une évidence. L'enfant s'approcha ensuite de sa professeur, une brave femme d'une quarantaine d'année, blonde et toute en rondeur, sympathique et patiente pour lui expliquer qu'il avait ressenti la douleur pour la première fois. Le mensonge qui avait été servi à tout le monde jusqu'alors, enseignants, élèves, inconnus, c'était qu'il avait un retard émotionnel important, qui l'avaient empêché de développer des sentiments. Il lui raconta son aventure de la veille, la chute, le sang, et la douleur. L'enseignante savait que certaines choses avaient bien plus d'importance que le programme scolaire, et parmi celles-ci, l'entraide et la solidarité. Alors, avec l'accord de son élève, elle décida d'ouvrir la discussion avec toute la classe.

    -Vous savez, mes petits, que jusqu'alors, Anthony ne ressentait rien. Hier pourtant, une étape importante de sa vie a eu lieu, il a eu mal pour la toute première fois. Comme vous pouvez vous en douter, c'est quelque chose de difficile, et j'attends de vous que vous le guidiez et le souteniez.

     

     On dit que les enfants sont cruels. Dans le cas d'Anthony, rien ne fut plus faux. Il n'y eu pas une seule remarque désobligeante, pas une seule moquerie, rien d'autre qu'une immense bienveillance de la part de tous. Et ce sont ses camarades qui l'aidèrent à réaliser qu'il n'y avait pas que la douleur qu'il était capable d'éprouver. 

    -C'est un peu comme quand on a très faim, et qu'il faut qu'on mange très vite. Je crois que j'ai faim de cette fille. Enfin, je ne veux pas la manger...

     Il bégayait légèrement, conscient que son explication était douteuse, mais ne trouvant aucun autre mot pour décrire cette impression étrange qu'il avait.

    -Donc, il faut que tu la voie très vite, c'est ça, s'enquit une petite fille aux bouclettes rousses prénommée Henriette.

    -Exactement !

    -Alors tu es pressé de la revoir, renchérit-elle. Donc tu es impatient !

    -C'est un sentiment ça ?

    -Ben... C'est comme quand ça va être Noël et qu'on ne veux pas attendre pour avoir nos cadeaux. Et... Comment tu as dit qu'elle s'appelait, déjà... Ellie ? Elle c'est ton cadeau. Et Noël c'est quand tu la reverras, et t'as pas envie d'attendre !

    -Il est impatient, s'exclamèrent tous les autres, ravis.


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