• La seule chose qui peut surpasser l'amour d'un enfant à sa mère, c'est l'amour d'une mère à son enfant. 

     Elle se rassit dans le canapé de cuir et il s'allongea pour poser la tête sur ses genoux. Elle commença à lui caresser les cheveux tandis qu'un second tic se fit entendre. Alors, surprise, elle déboutonna la chemise de son enfant, et effleura l'horloge du bout des doigts. Ce fut en la voyant faire qu'Emy comprit à quel point ce geste était intime. Elle qui avait failli laisser ses doigts aller sur le bois la première fois qu'elle l'avait vu, elle réalisa l'erreur que ça aurait été. Elle était tellement absorbée par la douceur du geste qu'elle ne remarqua pas tout de suite que l'aiguilles des minutes avait avancé.

     Après un instant de fascination, la mère se tourna vers Emy avec un air triste.

    -Ma chérie, je comprends que tu ne veux pas rentrer chez ta tante, mais il faudra que je l'appelle. Tu comprends bien que je ne peux pas prendre le risque que qui que ce soit s'approche trop près de mon fils...

    -S'il te plaît maman... laisse nous au moins une soirée ensemble...

     La femme finit par accepter, difficilement, et les autorisa à aller se promener à l'extérieur. Elle avait un terrible pressentiment. Mais comment refuser à son fils de passer du temps avec la personne qui semblait faire fonctionner son cœur ? De son côté Emy hochait la tête mais elle savait qu'elle ne rentrerait pas chez sa tante qui refusait de s'attacher à elle. Elle repartirait, elle s'enfuirait encore et encore. Anthony se leva et prit sa main, pour l'entraîner à l'extérieur, sans voir la flamme qui brûlait dans son regard. Il referma la porte de bois avec un bruit mat et doux, et inspira doucement l'air frais.

    -Si c'est la dernière journée que nous passons ensemble, je vais la rendre mémorable en t'apprenant à ressentir tout ce que je peux, annonça sa nouvelle amie.

    -On peut tout apprendre si vite ?

    -Non, tu n'auras qu'un avant goût de ce que le monde a à t'offrir, mais c'est le mieux que je puisse faire en si peu de temps.

    -Alors madame la professeur, qu'est ce que j'apprends aujourd'hui ?

     Elle haussa les sourcils, amusée, puis décida de faire d'une pierre deux coups : elle commença à le chatouiller jusqu'à ce qu'il éclate de rire. Toujours aussi cristallin, cet éclat avait perdu toute sa fadeur inconsistante. Il sembla surpris du son qui sortait de sa bouche, de l'émotion qui sortait de son cœur. Il était amusé, pour la première fois de toute sa vie. Par mimétisme, il la chatouilla à son tour, et la regarda s'esclaffer en se débattant. Les passants se retournaient en se demandant sûrement ce que deux adolescents faisaient à rire en pleine rue au lieu d'être en cours. Et justement, la seconde leçon allait s'enseigner maintenant. La réaction attendue par Emy arriva enfin : son disciple commença à rougir et à ne plus rire quand les gens  marchait, à détourner le visage, et soudain, il fondit en larmes, et se jeta dans ses bras. Surprise, elle ne le repoussa pourtant pas, et attendit qu'il s'apaise un peu, et qu'il reprenne la parole.

    -Qu'est-ce qui se passe ? Je n'aime pas ça...

    -Tu as honte. Tu n'aimes pas le jugement que l'on porte sur toi. Je ne m'attendais pas à ce que ce soit aussi violent.

    -Vous...

    -Si je dois t'apprendre un truc Anthony, c'est que quand on a partagé un fou-rire et un câlin avec une personne, on peut la tutoyer.

    -Tu sais pourquoi je réagis comme ça ? Tu n'as pas pleuré toi.


    votre commentaire
  •  Emy croyait au destin. La Fatalité mettait des gens sur sa route, et il y avait toujours une raison. La rendre plus forte, plus résistante, ou l'aider. Mais là, c'était autre chose. Elle pouvait se rendre utile. Elle pouvait donner des couleurs à l'existence de quelqu'un d'autre. Et elle était bien décidée à le faire. Elle lui emboîta donc le pas, et le chemin du retour se fit dans le silence, uniquement ponctué par les « tics » et les « tacs » de l'horloge défectueuse. Anthony entra dans sa maison, suivie de la jeune fille intimidée.  

    -Maman ?

    -Trésor ? Tu n'es pas à l'école ?

    -Je l'ai retrouvée !

     Il n'avait pas besoin de préciser la personne qu'il avait retrouvé. Elle le savait, elle l'avait compris à la minute où il avait passé la porte. Elle posa son torchon et se précipita dans l'entrée. Son regard brun se posa sur son fils un instant, puis elle sourit doucement, son inquiétude une fois de plus verrouillée au fond de son cœur comme l'espoir au fond de la boîte de pandore.

    -Tu vas salir tout mon canapé si tu t'y installe avec ton pantalon plein de terre. Va te changer d'accord mon grand ? Et toi ma chérie, tu veux boire quelque chose ? Entre, entre, viens.

    -Je veux bien un verre d'eau s'il vous plaît.

     Anthony grimpa les escaliers de bois quatre à quatre. Il ne s'était pas rendu compte qu'il s'était sali en se mettant dans la terre avant que sa mère ne lui fasse remarquer. Il se changea rapidement, se demandant vaguement ce qui pouvait se dire à l'étage du dessous, puis il se lava les mains et redescendit. Sa mère et Emy étaient là, assises dans le canapé beige, un chocolat chaud dans les mains. Deux belles brunes qui riaient ensemble. Yeux noisettes, yeux anthracites. Elles semblaient à l'aise. Il vit sa mère, avec un regard neuf. Quelque chose avait changé. Et sans qu'il puisse l'expliquer, il mit la main dessus.

    -Maman ? 

    -Oui trésor ?

    -Maman je t'aime !

    -Moi aussi Anthony... Si tu savais !

     Et alors il se jetait dans ses bras, elle ne put retenir des larmes de joies. La façon dont elle prononça son prénom, son vrai prénom, était la meilleure des réponses à ce « je t'aime » qui résonnait pour la toute première fois. Elle était la première personne à entrer dans son cœur, qui était jusqu'à lors sec comme le désert. Parce que la seule chose qui peut surpasser l'amour d'un enfant à sa mère, c'est l'amour d'une mère à son enfant. 


    votre commentaire
  •  Il y avait quelque chose dans la voix et dans le sérieux du jeune homme, dans sa façon de se tenir droit, dans son langage aussi. Elle avait envie de l'écouter. Il était étrange, et décalé, comme venu d'un autre monde, mais elle ne se sentait pas en danger. S'il était stupide, s'il lui racontait une blague, elle n'aurait qu'à partir. Alors elle hocha la tête. Et il raconta. Il raconta tant et si bien qu'elle fut suspendue à ses lèvres jusqu'au dernier mot. L'horloge, l'absence de sentiments, sa mère, leur rencontre. 

    -Anthony. C'est une très jolie histoire que tu me racontes. Mais ce n'est rien de plus qu'une histoire. Il faudrait que je sois idiote pour croire ça.

    -Et si je vous montrais ?

     Il déboutonna lentement sa chemise, sous le regard à la fois mal-à-l'aise, inquiet, et fasciné de son interlocutrice, laissant délicatement apparaître l'horloge. C'était un morceau de bois, qui ressemblait à ces objets qui font sortir un petit coucou toute les heures. Le cadran était bordé d'or, et l'intérieur était blanc, comme de l'ivoire. Les trois aiguilles, de la plus petite à la plus grande, étaient en pierres précieuses ou semi-précieuses, respectivement en topaze, en saphir et en diamant. Elle hésitait à le croire, mais il y avait une sorte de sincérité touchante dans ses paroles. Et elle avait une preuve, là, sous la main, a portée de doigts. Elle réfléchit à ce qu'elle-même serait sans ses sentiments. Elle écouta son histoire, et elle se rendit compte qu'elle pouvait l'aider, et un peu de baume s'appliqua sur son cœur meurtri. Emy avait terriblement besoin de trouver un sens à sa vie. Et voilà qu'on lui apportait ce qu'elle demandait, sur un plateau d'argent. Elle ne pouvait qu'y croire, qu'avoir l'espoir que ce soit vrai et qu'elle avait encore quelque chose à faire ici bas.

    -Qu'est-ce que tu veux de moi ?

    -Rien. Je savais simplement qu'il fallait qu'on se retrouve. Si vous saviez depuis quand je vous attends...

    -Oh...

    -Vous allez bien passer quelques jours ici, pas vrai, demanda le garçon.

    -Je resterais aussi longtemps que j'en ai envie. J'ai un peu d'argent pour me prendre une chambre d’hôtel si je le veux. Et je voudrais rester près de mes parents quelques temps encore, répondit-elle.

    -Êtes-vous seule ici ?

    -Mes deux parents sont avec moi maintenant. J'ai été placée chez une tante, mais je suis partie. Elle ne me cherchera pas, de toute façon.

    -Ma mère à moi va me chercher et s'inquiéter si je ne rentre pas. Voudriez-vous passer quelques jours chez moi ?

     Faire confiance à un inconnu dans la rue n'était pas dans les habitudes d'Emy. Mais elle se sentait lié au garçon, elle était intrigué par son cœur-horloge, et surtout, elle avait besoin que quelqu'un s'occupe d'elle et la protège. Elle était donc dans un entre-deux, à ne pas savoir comment répondre. Lui se remit à regarder la tombe, qui paraissait si vide. Il s'agenouilla dans la terre et déterra quelques violettes qui poussaient non loin, afin de les déposer devant la plaque de marbre, en guise d'épitaphe. 

    -Les violettes étaient les fleurs préférées de ma mère, chuchota-t-elle.

    -Alors ce n'est pas le hasard qui les a fait pousser ici. Ma mère les aime elle aussi beaucoup.

    -Allons-la rencontrer, conclut Emy.


    votre commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique