A B C D E F G... Et une fois arrivé à Z on repart du début. Exactement comme ma vie. Où tout est millimétré. Les temps pour lire, pour écrire, aussi pour bosser parfois, le temps que je passe sur l'ordi, mes séries, tout est chronométré. A la seconde près. Et tic et tac, où je vais, ce que je fais. Boum boum, le tempo des battements de mon cœur bien régulier. Les mêmes bruits d'arrière plan de mon petit frère qui regarde ses vidéos, la cuisine, mes parents qui vivent,  nos respirations. Rien ne dépassera. Pas même d'une seule secondes, puisque tout a été prévu, même les "attends, je finis", les "après", ou les "j'arrive". 

Je ne supporte plus de rester là, à attendre, à m'attendre moi. C'est encore pire que de reculer, et je préférerais tellement avancer. Mais voilà, trois jours de lycée, et j'ai l'impression que, s'il me reste milles choses à apprendre, il n'y a plus rien que je doive encore découvrir.

A B C D E F G.... Mais la comptine ne change jamais....

Elle compose sur son piano

Seule dans le noir

Elle écrit un nouveau morceau

Un peu d'espoir

Quelques accords mineurs

Un rythme bien défini

Calés sur les battements de son coeur

Mais les silences comptent aussi

La mélodie est légère

Comme un colibiri

Elle s'élève dans les airs

Pendant toute la nuit

Elle se sent belle

Elle se sent bien

Quand elle joue pour elle

Un morceau composé de ses mains...

L'espace d'un instant il sent la caresse d'un regard qui l'effleure. Pourtant il est venu seul acheter du pain pour sa mère, et il se fait volontairement discret. Qui aurait une raison de le regarder ? Tout de même, ça l'intrigue. Il cherche des yeux la personne qui le fixe, quand enfin il la trouve, alors qu'elle l'observe à nouveau. Mais elle se détourne rapidement. C'est une adolescente qui travaille avec son père, et devant l'absence manifeste de client, elle en profite pour s'intéresser aux passants. A chaque passant. 

Elle n'est pas spécialement jolie, sans être laide non plus. Plutôt quelconque en fait. Peut-être un peu grosse, un peu petite, avec des lunettes... On n'est pas tenté d'aller vers elle pour la séduire naturellement. Ce serait plutôt quelqu'un qu'on apprends à connaître. Il pense qu'elle est gentille, parce que personne n'échappe à ses yeux. Tout le monde mérite son intérêt, et elle ne semble pas dans le jugement. Il n'a jamais vu personne détailler les gens de cette façon, pourtant, ça ne semble pas malsain... Il se demande quelles pensées la traversent, l'ont traversée quand elle le fixait. Pourquoi porter une telle attention à chacun ? N'a-t-elle rien d'autre à faire, ou aime-t-elle vraiment cela ? C'est alors qu'il s'avise de son téléphone entre ses mains. Bien sûr qu'elle pourrait faire autre chose : discuter avec ses amis, jouer, écouter de la musique.... Mais elle regarde les gens. Elle l'a regardé. elle s'est attardé sur lui aussi longtemps que sur les autres. 

Il est amusé de ces pensées volages qui le poursuivent alors même qu'il la dépassé et que le flot de gens à du se renouveler pour la petite vendeuse aux yeux marrons si perçants.