• Récit Choral

    Dans le cadre d'un atelier d'écriture, je devais rédiger un récit choral, c'est à dire trois fois le même évènements, sur trois points de vues différents. Voilà, je vous montre le résultat.

     

    Je devais décrire un moment anodin. Ma mère m'a dit de le faire pour m'aider à relativiser le quotidien. Anodin, quotidien... Anodin, quelque chose sans importance. C'est drôle, dans ma vie morne, j'aurais pu penser à n'importe quoi, mais ce qui est venu, c'était une sensation. Anodine, parce que régulière. Parce que je m'étais habituée, finalement. Anodine parce que j'avais arrêté de m'offusquer, de me rebeller. Une sensation anodine, qui n'aurait jamais du le devenir. Anodin. C'est presque un joli mot. Et pourtant. Et pourtant la sensation, elle... La sensation quand j'entends la clé dans la porte et que, soudain, je sais qu'il rentre. Ses yeux posés sur moi. Son odeur, évidemment. Ce que ma vie est devenue, soir après soir. Anodin, c'est le mot... Et pourtant. La sensation de ses coups sur mon corps, voilà un moment anodin.

     

    La porte de chez moi ; et putain j'ai du mal à la trouver. Putain, ça me fait chier. C'est pas moi qui tourne, eh c'est le monde il tourne. Ou bien c'est l'alcool, en vrai, je m'en fous. Pas la moindre idée de l'heure qu'il est. Mais quelle importance ça a ? Parce que toutes les journées sont pareilles, aller au boulot pour se faire chier dessus par le patron, amasser tellement de haine et de colère qu'un rien pourrait me faire éclater. Finir au Whisky dans le PMU en bas de chez moi, puis rentrer. Rentrer pour voir ma femme qui, comme d'habitude, n'a fait aucun effort. Elle aurait pu être belle, avoir mis de la jolie lingerie, avoir bien cuisiné. Mais non, elle est là, avec son pull, et mon assiette de pâtes chaudes m'attends. Alors ça m'énerve, cette putain de vie m'énerve, je veux plus je veux mieux. Mieux que mon boulot, puis mieux que cette femme qui foire toute. Qui a même foiré notre gosse d'ailleurs. Je veux le pouvoir. Je prends le pouvoir. Comme tous les soirs. Et, aussi naturellement que je retire ma veste et mes chaussures, ma main s'abat sur son visage.

     

    Papa est rentré. Ses chaussures font schlack schalck dans l'entrée. Et ça fait peur. J'aime pas ce bruit. Je ne suis même pas sûre que j'aime papa. Quand je l'ai dit à maman, elle m'a crié. « Il a une vie difficile » elle a dit. C'est peut-être vrai. Mais ses chaussures font schlack schlack dans l'entrée, et ensuite c'est un autre bruit. Moi, je vois pas, j'entends. J'entends maman qui tombe et qui pleure, même si elle veut pas me réveiller. J'entends papa lui crier dessus. T'as tout raté bonne à rien ! Il n'est pas si en colère, je sais. Je sais parce que moi, moi je ne vois pas. Je lis des livres en brailles, je ne marche pas dans la rue toute seule. Je ne vois pas mais j'entends. Je reconnais sa voix des mauvais jours. Quand il est vraiment en colère. Comme j'ai jamais vu son visage, je sais avec sa voix. Là ça va, c'est comme tous les soirs. Maman m'a dit de pas m'inquiéter, mais j'ai l'habitude. Papa et maman crient toujours, visiblement, on crie sur ceux qu'on aime, ça ne m'inquiète pas. Même notre gosse tu l'as pas faite correctement, il hurle. J'ai pas peur, j'ai l'habitude. Je serre ma peluche, et puis, peu à peu, comme tous les soirs, je ne sais plus s'il crie ou si c'est juste une musique dans ma tête.

     

    {J'avais envie de questionner le mot « anodin », et comment la notion peut-être dangereuse. J'avais beaucoup de mots à poser, je voulais explorer une situation grave et pourtant plus commune qu'on croit. C'est une tentative qui me laisse honnêtement dubitative}


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