On m'a dit tellement de fois de me concentrer sur le côté positif. Plus jamais. Je ne veux plus jamais regarder le bon côté des choses. Parce que, si je le fais, je deviendrais satisfaite. Je ne veux pas être satisfaite. On ne peut pas avancer en étant satisfait. 

Regarde le monde. Vraiment. Je te parle de la planète qui va mourir, je te parle des gens qui dorment dans la rue, des petits qui meurent de faim, de la guerre. Je te parle de nos parents qui ont bossés à se détruire la santé, pour un salaire de misère. Et des adolescents qui se suicident. Des traces de mutilations que tu vois un peu partout dans les collèges, des gamines qu'on a forcé à écarter les cuisses, et qui ne s'en remettent pas. Je te parle des rêves qu'on a abandonné, de la vie qu'on voulait à quatorze ans quand on croyait encore pouvoir changer le monde. Tu te rappelles ? Et ce quotidien qu'on a maintenant, à l'époque il nous faisait gerber, on était prêts à tout pour l'éviter. Tu te souviens, la clope que t'allumes tous les quart d'heure, comment elle nous faisait horreur ? On ne voulait pas avoir besoin de ça. Qu'est-ce qui a changé ?

Ce qui a changé, c'est qu'on a flippé, et on a accepté de se contenter du "pas si mal". Je voulais devenir artiste, mais j'ai eu peur d'essayer, alors la fac ce n'était "pas si mal". Je voulais foutre le feu à l'Elysée, mais mettre des publications sur Twitter ce n'est "pas si mal". Je voulais partir à l'autre bout du monde, mais le Sud de la France ce n'est "pas si mal". Je voulais sauver des vies, mais, finalement, survivre ce n'est "pas si mal". On est devenu satisfait, et ça me dégoûte. 

Moi, tu sais, je crois qu'on voit le verre à moitié vide quand on la volonté de se battre pour le remplir. Et puis soudain, il devient à moitié plein, parce qu'on a trop peur de perdre le peu qu'on a. Ils disent que le verre à moitié vide c'est pessimiste, moi je dis, c'est l'espoir. On voit tout ce qu'il reste à remplir, ce qu'on peut encore faire. A moitié bien, c'est être satisfait. Et ça, plus jamais.