• 26/10/2020

    Cette nuit j'ai fait un cauchemar horrible. On me renvoyait en hôpital psychiatrique (hp). Je ne sais même plus pourquoi. Parce que j'allais mal, parce que la dépression n'était pas partie. Et c'est là que j'ai réalisé que tout mon rêve venait de sensations réelles. Et donc, je voulais juste revenir sur ces expériences de ma vie. Parce que, finalement, c'est important. 

    Il faut savoir que l'hôpital psychiatrique, je l'envisage depuis novembre 2019. C'est la première fois que l'infirmier du lycée m'en avait parlé. Je me souviens surtout que ça avait été présenté comme une menace, quelque chose du genre "Pour l'instant je te laisse le temps de réfléchir et d'aller à ton rythme, et je ne ferais rien sans te prévenir, mais si ton état s'améliore pas ou que tu ne te confies pas, je t'enverrai en hp même si tu n'es pas d'accord". En fait, pour moi, c'était une sorte de punition. On me le présentait comme l'ultime solution pour me sauver, mais on s'en servait toujours pour me menacer, si on estimait que je progressais pas assez, ou pas régulièrement. 

    Finalement, c'est moi qui ai demandé à être internée. J'allais vraiment trop mal, je ne savais pas quoi faire du tout. J'avais trop peur de mourir, que ce soit "involontairement" en me vidant de mon sang, sans même m'en rendre compte, ou volontairement, en abusant de médicaments ou en m'ouvrant de mes veines. J'avais beaucoup de raison de rester en vie (et j'en ai encore plus aujourd'hui) mais, tout ce que je fais depuis toujours, c'est pour Alexis. Me faire soigner, c'était pour lui principalement. Parce que je ne voulais pas gâcher la vie de mon frère, le traumatiser. Qu'est-ce qu'il aurait fait en trouvant le cadavre de sa soeur ? Il s'en serait remis ? Et comment il aurait vécu avec une grande soeur dépressive, étouffée et étouffante ?

    Tout ça pour dire que, ouais, mon expérience était difficile, mais j'oublierai jamais que c'est moi qui l'ai choisie. Et finalement, ça rend les choses plus simple. Je sais que beaucoup de gens gardent de la colère contre leurs parents, infirmiers, médecins, qui les ont forcés. Moi, je n'en veux à personne et même pas à moi-même, parce que je n'aurais jamais pu prévoir ce qui allait arriver. 

    Bref. Venons en au sujet principal.

    La première hospitalisation, c'était fin mars, je crois. Elle a duré environ une semaine, ce n'est vraiment pas énorme. C'était un CHU, à trois quart d'heure de chez moi. Mes parents venaient tous les deux jours (je ne pouvais en voir qu'un sur les deux à chaque fois à cause du covid). Ils m'ont apporté du chocolat, des cadeaux, ils ont vraiment été là pour moi dès que les problèmes ont commencé. J'étais uniquement avec des adolescents plus jeunes que moi. Tout le monde allait mal, et j'ai commencé sans même le vouloir à adopter un rôle de grande soeur pour tout le monde. J'étais là, en soutien, en réconfort, et du coup, je montrais rarement que j'allais mal. Je me souviens des commentaires "t'es trop enthousiaste pour moi" "t'es toujours pleine d'énergie" "tu es super forte". Le problème, c'était surtout le corps médical par contre. "t'es sûre que tu es dépressive ?" "Je ne pense pas que ce soit très utile pour toi d'être là" "Je pense que tu n'as pas vraiment d'idée suicidaire". C'est déjà tellement dur de demander de l'aide, quand on est décrédibilisée et ignorée par la suite, c'est tellement difficile... Et je pouvais pas en parler aux autres, parce que justement, je ne voulais pas les rendre triste. Et puis, y'a eu l'histoire d'agression. Quand j'ai parlé de mon viol, le personnel est devenu horrible. Moi, je n'étais pas prête à porter plainte. Alors ils ont été menaçant "on peut mettre en examen tes parents s'ils ne portent pas plainte pour toi, tu vas ENCORE leur causer des problèmes" et culpabilisateurs "de toute façon, s'il recommence, ce sera entièrement ta faute, parce que tu n'auras rien fait, et donc d'autres filles vivront la même chose que toi à cause de toi". Y'a eu aussi les "mais t'étais habillée comment ?" "tu sais que s'il a pu entrer c'est que t'étais pas entièrement contre" "t'as mouillée ? T'étais sûre que c'était un viol ?" Et finalement, mon avis entièrement ignoré pour qu'ils fassent ce qu'ils voulaient. Il y a aussi eu énormément de désinformation juste pour ? Me terroriser, je pense. On m'a dit que j'aurais certainement à subir un examen gynécologique, que je sois d'accord ou non, que j'irais au tribunal, que je serais sans doute même confrontée à lui. C'était horrible. Y'avait aussi le fait qu'on était pas vraiment traités comme des humains. Interdiction d'ouvrir les fenêtres (alors qu'elles étaient construites pour s'ouvrir à demi, histoire qu'on puisse les entrouvrir sans avoir la possibilité de se défenester), pas le droit de sortir, comme des animaux en cage, et d'ailleurs, c'était à peine si on avait le droit de rester les uns avec les autres, alors que justement, nous tous qui étions là, nous avions besoin de réapprendre à socialiser, à recréer du lien humain. Je passe sur les commentaires désobligeants de certaines aide soin, qui nous faisaient bien comprendre qu'on leur faisait perdre leur temps et qu'on faisait juste semblant d'aller mal, qui nous criaient dessus quand on s'enfermait pour aller aux toilettes, qui critiquaient nos tenues, parce qu'on n'est pas à un défilé de mode ou encore qu'on était trop négligés. Je suis sortie au bout d'une semaine, encore plus cassée que je suis entrée. J'avais tellement peur qu'on m'y renvoie que pendant un bon mois, j'ai fait semblant d'aller bien alors que je passais mon temps à me mutiler et à vouloir mourir, que je paniquais tout le temps, et que je faisais des crises permanantes.

    Finalement, j'ai éclaté, ce qui a conduit à ma deuxième hospitalisation. Je n'ai pas grand chose à en dire : c'était seulement quatre jours, le personnel savait que j'étais en transition vers une clinique, et que par conséquent ils n'avaient pas vraiment à s'occuper de moi. On me laissait tranquille, et honnêtement, c'était comme des vacances sans internet, avec un psy qui vient nous voir tous les matins. On avait les flirts, et les amitiés. Je ne sais pas si c'est à ça que doit ressembler une hospitalisation, mais c'est honnêtement la seule fois où j'ai pu vraiment travailler sur moi en me sentant en sécurité. Les infirmières nous ont emmené nous promener, et surtout, elles ont fait un immense travail pour déconstruire mes terreurs vis-à-vis de ce qu'on m'avait dit au CHU.

    Et puis il y a eu la clinique. J'en parle maintenant, calmement. Mais j'en fais des cauchemars souvent, ça me terrorise en vrai. Tout était horrible. Les appels à l'aide dont tout le monde se foutait. La mutilation presque encouragée, en tout cas personne ne l'empêchait. Je me souviens avoir essayé d'évoquer mes TCAs et on m'avait même coupé la parole en disant que ce n'était pas important. Les psychiatres qui disaient des choses, et les psychologues d'autres. Les infirmières qui nous appelaient "cas perdus". L'indifférence générale. Aucun temps d'expression parce que dans les ateliers on avait pas le droit de parler de nos expériences personnelles. L'absence d'intimité : il n'y avait pas de verrous dans la salle de bain, et personne ne se gênait pour entrer, les infirmières qui passaient toutes les nuits pour te surveiller en train de dormir. L'interdiction presque formulée de créer des liens. L'humiliation permanente : montrer du doigts par le personnel, parce que t'étais habillée trop court, parce que t'étais négligée, pas assez belle, pas assez gentille, trop dépressive. Les regards accusateurs des patients adultes sur nos cicatrices, et les jugements qu'ils se permettaient de prononcer sans qu'aucun professionnel ne les reprenne jamais. Je me souviens qu'on nous laissait fumer, nous les mineurs. On laissait les adultes nous fournir des clopes sans problèmes. Tout le monde le savait, ça ne dérangeait personne. Et puis Léo. Qui m'a touchée. Si ce n'est plus. Qui a abusé de moi, et dont on a juste dit "c'est de ta faute. Et puis t'as des preuves déjà ? Tu te rends compte que ça a des conséquences ce que tu dis." Et puis toutes mes copines, que j'ai vu, comme moi, sortir encore plus brisées qu'elles n'étaient entrées.  Détruites dans tous les sens du terme, sans repères, plus de confiance en elles, et même plus d'espoir.

    Le seul truc que ça m'a apporté, c'est cette conviction : "si t'as survécu à ça, tu survivras à tout".


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