Texte original

Parfois, je me demande s'il est possible de ne rien ressentir à ce point. Même si cela m'arrive moins qu'avant, la sensation est toujours là, a portée de main. A l'adolescence, j'avais l'impression qu'en moi un lieu destiné aux émotions s'était asséché sans que je m'en aperçoive. Le monde m'apparaissait alors comme maintenant, derrière une vitre, intangible et lointain, un spectacle muet auquel j'étais incapable de prendre part. A cette époque, j'avais déjà fait le lien entre cet état là et les images des G.I américains de retour du Vietnam vues dans les films et les séries télévisées. Je comprenais jusque dans mes os ce qu'ils ressentaient, assis sur le canapé familial à fixer le néant tandis qu'on s'agitait autour d'eux. Leur absence, leur incapacité à se joindre au mouvement, à créer un avenir. Comme moi, ils semblaient submergés par le silence des noyés qui flottent à la surface.

Réécriture

Submergés par le silence des noyés qui flottent à la surface, les G.I américains de retour du Vietnam que j'avais vu dans les films et les séries télévisées semblent être un écho de moi-même. Je comprends jusque dans mes os ce qu'ils ressentent, assis sur le canapé familial à fixer le néant tandis qu'on s'agite autour d'eux. Leur absence, leur incapacité à se joindre au mouvement, à créer un avenir. Ces sensations sont toujours en moi, à portée de la main. Enfant, un jardin s'épanouissait en moi. Et les milles couleurs qui s'y entremêlaient, les odeurs qui me transportaient, étaient alimentées par les émotions que je ressentais. Sans que je m'en rende compte, devenant adolescent, le jardin s'était métamorphosé en désert : tout avait fané, et il ne restait plus que du sable, un soleil aride et brûlant, et au milieu de tout cela, moi. Le monde m'apparaissait alors comme maintenant, derrière une vitre, intangible et lointain, un spectacle muet auquel j'étais et suis toujours incapable de prendre part. Parfois, je me demande s'il est possible de ne rien ressentir à ce point.